
Le début de l’adolescence de Malcolm X est une période cruciale qui est souvent négligée, notamment dans le film de Spike Lee qui omet un aspect fondamental de son parcours : ses débuts dans la délinquance à Lansing, bien avant son arrivé à Boston.
Cette étape de sa vie, marquée par la désobéissance au couvre-feu, les petits vols et l’instabilité familiale, offre un regard essentiel sur la construction d’un jeune homme confronté aux injustices sociales et raciales.
À seulement 13 ans, Malcolm, surnommé « East Lansing Red » en raison de ses cheveux roux, développe une réputation dans les rues de Lansing. Cette période marque le début d’une vie tumultueuse, entre petits vols, désobéissance au couvre-feu et fréquentations douteuses avant d’être placé dans une école de réforme à Mason, un tournant décisif dans sa vie.
Dans cet article, nous allons explorer en détail cette période méconnue qui démontre le début du traumatisme d’un enfant victime d’un éclatement familiale
Lansing était une ville marquée par la ségrégation raciale et les tensions sociales dans les années 1930. Le quartier où vivait Malcolm X était principalement noir, et les enfants noirs étaient scolarisés dans des écoles séparées. Malcolm a été confronté à la discrimination et au racisme dès son plus jeune âge, ce qui a sans doute contribué à son sentiment de révolte et à sa méfiance envers la société blanche.
Après l’internement de sa mère, le jeune Malcolm est placé chez les Gohannas, où l’absence de cadre strict et de suivi lui procure un sentiment de liberté inédit. Contrairement à la maison, où son père, Earl Little, lui assignait des tâches quotidiennes et sa mère, Louise Little, imposait des séances de lecture, il bénéficie chez les Gohannas d’un environnement moins strict, moins surveillé… plus permissif.
Cette absence de cadre rigoureux lui permet d’acquérir une nouvelle liberté qu’il ne connaissait pas auparavant. Inscrit à la West Junior High School, il commence rapidement à délaisser les bancs de l’école. Sans figure d’autorité pour le guider, Malcolm commence à traîner dans les rues et au Lincoln Community Center, un lieu de rassemblement pour les jeunes Afro-Américains de Lansing.
Malcolm, surnommé « East Lansing Red » en raison de ses cheveux roux, développe une personnalité audacieuse et rebelle. Il traîne souvent avec des camarades comme John Davis Jr., Sam William et son voisin de chambre Big Boy Roper, qui l’encouragent dans ses premiers pas vers la délinquance.
Ensemble, ils enfreignent le couvre-feu, volent des cigarettes, des bonbons et parfois des objets de plus grande valeur dans les magasins locaux. Charismatique et rusé, Malcolm se distingue au sein de ce petit cercle, gagnant en popularité et en influence. Avec son charisme naturel et son audace, il devient rapidement le leader de cette petite bande.
Parfois, il agit seul, aimant tester les limites imposées par les adultes et les autorités. Les rues du quartier noir de Lansing deviennent son terrain de jeu, un lieu où il observe les injustices sociales et commence à comprendre les dynamiques raciales qui limitent les opportunités des jeunes comme lui. Bien qu’il enfreigne souvent les règles, il n’est pas perçu comme un garçon violent. Ceux qui le côtoient reconnaissent son intelligence et son potentiel inexploité.
Cependant, son comportement scolaire se détériore rapidement. Il manque de plus en plus les cours, provoquant l’inquiétude des enseignants. Malcolm finit par être expulsé de la West Junior High School, marquant un premier échec significatif dans sa jeune vie.
Après le rapport de l’agent Allyn, les services sociaux décident de placer Malcolm dans une école de réforme. Les écoles de réforme étaient des institutions pénales pour adolescents, apparues entre 1830 et 1900, en alternative aux prisons pour adultes. Elles étaient destinées à réhabiliter les jeunes délinquants par l’éducation et la formation professionnelle, plutôt que par la punition.
Malcolm est envoyé à Mason, une petite ville du Michigan située à 20 km de Lansing et majoritairement blanche. Ce transfert marque un tournant important dans sa vie, l’éloignant de ses repères et le confrontant à un environnement social radicalement différent. À Lansing, il pouvait voir sa famille chaque semaine, mais à Mason, il n’a plus aucun contact avec eux.
À son arrivée, il est accueilli par les Swerleins ( le véritable nom de la famille » Swerlin » comme inscrit dans l’autobiograpie de Malcolm X ), un couple blanc qui dirige le centre de détention pour mineurs. Contrairement à ce qu’il aurait pu craindre, Malcolm est traité avec respect et bienveillance par ses tuteurs. Cependant, il ressent un certain malaise, une forme de condescendance qui le met mal à l’aise. Le langage des Swerleins trahit un racisme latent : ils utilisent le mot « nègre » dans leurs conversations quotidiennes, même en présence de Malcolm, comme si son sentiment à ce sujet était insignifiant. Malcolm apprend rapidement à naviguer dans cette hypocrisie sociale.
Plus tard, dans son autobiographie, Malcolm écrira : « Ils étaient gentils, mais je me sentais comme leur mascotte, quelqu’un qu’ils pouvaient exhiber tout en me maintenant à ma place.”
Malgré ce sentiment ambivalent, Malcolm s’adapte rapidement à sa nouvelle vie. Il est inscrit à Mason Junior High School, où il est l’un des rares élèves noirs . Son intelligence et son charisme naturel lui permettent de s’intégrer facilement. Il excelle dans ses études, notamment en anglais et en histoire, et devient même président de sa classe de septième année . À cette époque, c’est un exploit rare pour un élève noir dans une école à majorité blanche.
Il rejoint également l’équipe de basket-ball de l’école, ce qui lui permet de voyager dans d’autres villes et de se confronter à des réalités différentes. Lors de ces matchs, lorsqu’il prend le ballon, il est souvent la cible d’insultes racistes, certains spectateurs imitant des cris de singes depuis les tribunes., sans que ses coéquipiers ou son entraîneur n’interviennent.
Malgré tout ça, à Mason, Malcolm trouve une forme de reconnaissance au sein de l’école. C’est une véritable vedette. Sportif, élégant et charmeur, ses résultats scolaires exceptionnels, son charisme et sa participation active à la vie scolaire lui valent l’admiration de ses camarades et de certains professeurs. Il commence à reprendre confiance en lui, ne traine plus dans la rue et aspire à de grandes ambitions professionnelles.
Cependant, cet espoir sera brutalement anéanti par une discussion avec un professeur qu’il admire. Un échange qui va profondément le marquer et changer le cours de sa vie
Un jour, lors d’une discussion en classe, le professeur d’anglais de Malcolm, Mr. Richard Kaminska ( nommé Otrowski dans le film de Spike Lee), demande à chacun de ses élèves ce qu’il souhaite devenir. Tandis que ses camarades blancs mentionnent des carrières prestigieuses comme médecin, architecte ou avocat, Malcolm, dans un élan d’enthousiasme, répond qu’il aspire à devenir avocat. Pour lui, cela semble naturel : il est le meilleur élève de sa classe, son aisance en débat est reconnue, et il nourrit un profond respect pour son professeur.
Mais la réponse de Mr. Kaminska brise net son élan : « Être avocat n’est pas réaliste pour un garçon noir comme toi. Pourquoi ne pas envisager un métier manuel ? »
Mr. Kaminska, bien qu’il ait toujours encouragé Malcolm, lui explique que le métier d’avocat n’est pas une option réaliste pour une personne noire. Il lui conseille plutôt de se tourner vers un métier plus « adapté » à sa condition, comme la menuiserie.
Malcolm est abasourdi. Il comprend que même en étant le meilleur élève de sa classe, même en surpassant ses camarades blancs, ses rêves et ses ambitions se heurtent à une réalité inévitalbe : c’est un noir en Amérique.
Ce qui rend cette remarque encore plus douloureuse pour Malcolm, c’est qu’il sait que son professeur ne parle pas par mépris, mais par conviction, une conviction partagée par la majorité de la société blanche de l’époque. Il réalise que même ceux qui l’apprécient et le soutiennent ne croient pas en sa capacité à réussir dans un domaine réservé aux Blancs.
Cet échange marque un tournant dans la vie de Malcolm. Pour la première fois, il sent qu’il n’y a aucun espoir pour un jeune Noir en Amérique. Même s’il a de grandes capacités intellectuelles, ça reste un « nègre ».
Cette désillusion s’inscrira profondément dans son esprit, et à son jeune âge, il n’a plus la force de faire des efforts. Il devient silencieux, se referme sur lui-même. Il n’est plus le jeune homme attrayant, mais un jeune au regard sombre qui toise les gens du regard quand on l’appelle. Les Swerlein, qui ne comprennent pas ce changement radical, essaient de lui parler, mais rien n’y fait. Malcolm reste muet et se ferme à tout le monde.
Les Swerlein sont très touchés par le changement du jeune garçon, toujours poli et souriant, et pensent qu’ils sont la raison de son changement. Ils demandent alors à ce que Malcolm soit réintégré plus près de sa famille à Lansing.
Mais Malcolm a d’autres plans…
Mr Allyn, l’agent des services sociaux, avait décidé d’envoyer le jeune Malcolm dans une école de réforme pour lui offrir un cadre plus structuré. Il espérait que cette expérience lui permettrait de se reconcentrer sur ses études et de retrouver le droit chemin. . Il ne sait pas encore que cette décision marquera la fin définitive de la scolarité de Malcolm et ouvrira une nouvelle phase de sa vie, la vie de gangster : Detroit Red.
( Prochain article : dimanche 2 février 2025)
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